ALFORT – À travers les correspondances de François Augereau, gendarme en poste en Guadeloupe entre 1900 et 1904, c’est une page méconnue de l’histoire de l’île qui refait surface. Ses écrits offrent un témoignage rare et personnel sur la vie quotidienne, les tensions sociales et le rôle de la gendarmerie dans la société guadeloupéenne de l’époque.
Les lettres de François Augereau, récemment étudiées par des historiens locaux, décrivent une Guadeloupe en pleine mutation. Affecté dans plusieurs communes, il y raconte ses missions, qui vont bien au-delà de la simple police : il est tour à tour médiateur dans des conflits de voisinage, enquêteur sur des vols de récolte et le bras de l’État dans une société encore marquée par les hiérarchies post-esclavagistes.
Les lettres de François Augereau décrivent une Guadeloupe en pleine mutation. On pourrait y lire, par exemple, une note datée de février 1902 :
« Si je vais rester longtemps ici, je n’y resterai pas toujours, mais vu que j’ai de si grands avantages je n’espère pas rentrer en France de si tôt si ce n’est en congé, je gagne près de 200 francs par mois et une année me compte pour deux, chose que je ne trouverai jamais en France. »
« Je suis tout à fait accoutumé dans la gendarmerie coloniale et je peux vous dire que je me trouve mieux qu’au régiment, tant au point de vue service qu’au point de vue pécuniaire et la considération que l’on a envers nous est tout autre. Quoique la nourriture ainsi que tous les objets que l’on a besoin d’acheter dans les colonies, subissent une majoration de 50/100 sur les prix de vente de la métropole, cependant à la fin du mois la poche reste mieux garnie que dans la départementale et au régiment. »
« Il n’y a rien de bien nouveau à la Guadeloupe, si ce n’est la suppression de 32 gendarmes sur 150 que nous sommes mais je ne suis pas du nombre car le commandant a fait passer une note pour demander ceux qui voulaient s’en aller, je n’ai pas ….Bien entendu ceux qui partiront seront classés dans d’autres colonies, telles que Madagascar, l’Indo-Chine, le Tonkin ou la Nouvelle Calédonie ; s’il y avait plus longtemps que je sois à la Guadeloupe, j’aurais demandé à aller à Madagascar qui est beaucoup plus avantageux au point de vue pécuniaire d’aborb et pour les campagnes, car on n’y fait … jours compagne de guerre ; c’est-à-dire qu’une année compte pour trois … qu’à la Guadeloupe on ne fait que campagne simple. »
« Notre chef d’escadron vient d’être rappelé en France par dépêche pour être mis à la retraite d’office, c’est un des plus braves officiers que j’ai connus, et peut-être que nous perdons beaucoup, car aux colonies la gendarmerie est un peu sous les ordres des autorités civiles. »
Son témoignage est particulièrement précieux, car il relate de l’intérieur les événements qui ont marqué cette période, comme les crises électorales. Augereau y décrit la difficulté pour les gendarmes, souvent eux-mêmes d’origine modeste, d’être pris entre les ordres des autorités coloniales et l’aveuglement que conduit la volonté de sortir de la condition d’un “vulgaire gendarme”.
Ces archives personnelles permettent de mettre un visage et des mots sur une fonction souvent dépersonnalisée. Elles constituent une “brique” fondamentale pour comprendre les dynamiques sociales de la Guadeloupe à l’aube du XXe siècle, un complément essentiel aux rapports administratifs plus formels de l’époque.
SOURCES : Archives du Musée de la Gendarmerie Nationale, fonds relatifs aux effectifs en outre-mer, période 1900-1904.